TF1 + M6 + Amazon : le ciblage progresse, la confiance stagne. Et c’est là que tout va se jouer.

Le 5 novembre, TF1 et M6 ont annoncé un partenariat inédit avec Amazon autour d’une “clean room” partagée — Amazon Publisher Cloud — présentée comme une petite révolution Ad-Tech. Une promesse simple : mieux cibler les campagnes diffusées sur TF1+ et M6+ en croisant les données de visionnage avec les signaux d’achat d’Amazon. Sur le papier, c’est malin. Dans la réalité, c’est incomplet. Et surtout : cela montre à quel point l’industrie confond encore précision… et persuasion. Parce qu’il faut le dire sans détour : la crise de la publicité n’est pas une crise de ciblage. C’est une crise de confiance. Et le ciblage — même boosté aux données Amazon — ne répare pas la confiance.

Stéphane LE BRETON

11/15/20257 min temps de lecture

Le ciblage progresse, mais le scepticisme aussi

L’initiative TF1/M6/Amazon s’inscrit dans une logique industrielle limpide : si l’audience se fragmente et bascule vers le streaming, on va chercher de la data pour rester dans la course.

L’idée : reprendre des parts de marché aux plateformes sociales et aux géants du digital en proposant aux annonceurs des audiences plus “chaudes”, plus proches du moment d’achat, mieux segmentées.

Et le contexte leur donne raison… sur une partie du problème seulement.

  • En juin 2024, le streaming représentait déjà 40,3 % du temps total passé devant la TV selon The Gauge de Nielsen, un record historique.

  • En mai 2025, nouvelle bascule symbolique : le streaming dépasse pour la première fois la TV traditionnelle, avec 44,8 % des usages TV contre 44,2 % pour le broadcast + câble réunis.

  • En parallèle, des groupes comme Warner Bros. ou Paramount ont enregistré des baisses à deux chiffres de leurs revenus TV traditionnels (–18 % et –13 % sur certains trimestres 2024), confirmant que le linéaire seul ne finance plus la fête.

En France et en Europe, même scénario :

  • Le digital représente la majorité des investissements médias depuis 2022 en France, et devrait atteindre près de 69 % des dépenses médias en 2028.

  • En 2024, le marché publicitaire français a progressé de +7,7 %, tiré par le digital et les JO, tandis que la TV classique voit sa part relative s’éroder dans le mix.

  • À l’échelle européenne, la publicité digitale a franchi la barre des 118,9 milliards d’euros en 2024, en croissance de +16 % sur un an, confirmant le basculement structurel des budgets vers les écrans connectés.

Dans ce paysage, la réaction des régies TV est logique : si la TV perd du terrain, on va la “réarmer” avec du ciblage façon plateformes. D’où la convergence des modèles :

  • Google a DV360

  • Meta a son ecosystème AEM / CAPI

  • The Trade Desk s’appuie sur ses graphes d’identité propriétaires

  • Amazon pousse son stack retail media jusque dans la TV connectée… et désormais chez TF1+ et M6+ avec Amazon Publisher Cloud

Ce qui change avec ce partenariat, c’est que les régies TV françaises embrassent officiellement le même paradigme : “plus de data” pour compenser “moins d’attention” et “moins de revenus linéaires”.

Sauf que : La data ne soigne pas ce qu’elle ne touche pas : la crédibilité du message.

Oui, la data cible mieux. Oui, elle optimise les GRP et les segments. Oui, elle rassure les CFO avec de jolis dashboards.

Mais sur le terrain, côté public, les chiffres racontent une autre histoire :

  • Nielsen montre que 64% des consommateurs prennent activement des mesures pour éviter les publicités sur les services vidéo gratuits financés par la pub (zapping, multitasking, etc.), et 59% se disent prêts à payer pour éviter totalement la publicité.

  • Parallèlement, le local consumer review survey de BrightLocal rappelle que 98% des consommateurs lisent au moins occasionnellement des avis en ligne avant de choisir un commerce local, et que 76% les lisent “toujours” ou “régulièrement”.

  • La même famille d’études montre qu’une majorité de consommateurs perdent confiance dans une entreprise lorsqu’ils voient surtout des avis négatifs, signe que la décision ne se joue plus sur l’exposition, mais sur la preuve perçue.

Autrement dit : on n’a jamais eu autant de sophistication dans le ciblage… et jamais autant de réflexes d’évitement publicitaire.

Les études de confiance confirment le décrochage :

  • Le rapport Global Trust in Advertising de Nielsen rappelle que les recommandations de proches restent le canal le plus fiable, devant toutes les formes de publicité. Les “opinions de consommateurs en ligne” arrivent juste derrière, loin devant les bannières, formats mobiles ou autres formats display.

Donc oui :

  • le ciblage progresse,

  • la tuyauterie média devient de plus en plus fine,

  • le couplage “visionnage + signaux d’achat Amazon” permet d’optimiser les plans.

Mais la data ne rend pas la publicité plus crédible. Elle ne répare pas la défiance envers les messages de marque. Elle ne crée pas, en soi, la preuve que le produit tient ses promesses. Et ce n’est pas un détail technique : c’est la vraie fracture du marché.

On a construit des architectures très complexes pour savoir à qui parler, et quand. Mais on a très peu travaillé sur “pourquoi cette personne devrait croire ce qu’on lui raconte”.

La crise actuelle n’est donc pas une crise de ciblage. C’est une crise de légitimité du message.

Un partenariat utile… mais qui renforce une dépendance stratégique

Soyons clairs : pour TF1 et M6, s’allier avec Amazon a du sens. Les plateformes de streaming doivent rentabiliser leur modèle, les PME cherchent des solutions simples et performantes, et le marché réclame du ciblage responsable.

Le deal coche donc toutes les cases opérationnelles du moment.

Mais derrière l’efficacité immédiate, il y a un risque stratégique évident : en intégrant des signaux Amazon, les chaînes deviennent un peu plus dépendantes d’un écosystème qui a justement capté une grande partie de la valeur publicitaire ces dix dernières années.

Petit rappel de l’histoire récente :

  • Les réseaux sociaux ont capté l’Attention (temps passé, formats courts, engagement).

  • Amazon a capté la Conversion (retail media, search interne, données d’achat en temps réel).

  • La TV, fragilisée par l’érosion du linéaire, tente désormais de reprendre du terrain grâce… à la Data.

Ce mouvement est logique, mais il crée une asymétrie : dès que la valeur média dépend majoritairement de données extérieures, celui qui possède la donnée contrôle la chaîne de valeur.

Et dans ce partenariat, ce n’est pas TF1 ni M6 qui possèdent les données d’achat : c’est Amazon. Or si l’histoire du digital nous a appris une chose, c’est bien celle-ci :

📌 celui qui contrôle la donnée contrôle la dépendance future du marché.

Mais surtout, ce débat “qui a la meilleure data ?” occulte un point essentiel que les plateformes ne peuvent pas adresser : la preuve que la publicité fonctionne.

Une clean room peut rapprocher des signaux. Elle peut affiner des segments. Elle peut améliorer des modèles d’attribution. Mais elle ne peut pas :

  • rendre un message plus crédible,

  • créer de la confiance,

  • intégrer une preuve certifiée dans une création publicitaire,

  • ou montrer visiblement à l’écran pourquoi un produit mérite d’être acheté.

Et c’est précisément ce troisième pilier — la preuve visible, vérifiable, intégrée dans le média — que le marché n’a toujours pas résolu. En résumé :

✔️ Amazon aide la TV à mieux viser.

❌ Mais Amazon ne l’aide pas à mieux convaincre.

Et c’est cette fracture — Pertinence vs Preuve — qui va définir les gagnants de la prochaine décennie.

La crise de la pub n’est pas une crise de data. C’est une crise de crédibilité.

Depuis dix ans, toutes les études le martèlent :

  • la confiance dans les publicités TV recule, année après année ;

  • l’attention explose en micro-fragments, réduisant le temps utile de persuasion ;

  • les consommateurs vérifient systématiquement les avis avant d’acheter (95 % selon BrightLocal) ;

  • les messages brandés perdent en autorité, souvent perçus comme exagérés ou hors-sol ;

  • et surtout, la preuve sociale domine désormais la parole des marques.

En clair : le problème n’est pas que les pubs soient mal ciblées… c’est que les gens ne les croient plus spontanément.

La technologie peut optimiser la diffusion, affiner les segments, enrichir les plans médias. Mais elle ne répond pas à la question essentielle qui traverse chaque foyer, chaque écran, chaque décision d’achat :

“Pourquoi devrais-je croire ce que cette marque me raconte ?

Dans un environnement saturé de messages (les consommateurs sont exposés à plus de 15 000 stimuli commerciaux par jour), la persuasion ne repose plus sur la répétition ni sur la personnalisation algorithmique.

Elle repose sur quelque chose de plus simple, mais infiniment plus puissant : l’évidence.

Des signaux humains. Authentiques. Vérifiables. Compris en une seconde.

C’est ce couple-là — Attention + Trust — qui déclenche réellement la conversion.Et certainement pas le duo Attention + Data, aussi sophistiqué soit-il.

La prochaine frontière : intégrer la preuve directement dans la publicité

La prochaine bataille ne se gagnera pas sur le terrain du targeting.Elle se gagnera sur le terrain de la confiance visible.

L’industrie a tout essayé :

  • les triggers comportementaux

  • l’IA créative

  • le cross-device

  • le DCO

  • la modélisation d’attribution

  • les clean rooms propriétaires

Ce qu’elle n’a pas encore industrialisé, c’est la preuve certifiée dans les créations publicitaires. Pourtant :

  • 95 % des gens lisent les avis avant d’acheter

  • les avis augmentent les ventes de +18 % en moyenne

  • la présence d’une preuve augmente l’attention de +20 à +30 %

  • les QR codes réduisent drastiquement le “last mile” entre exposition et action

  • et la norme ISO 20488/NF522 crée un cadre crédible pour les avis certifiés

La TV, la presse et le cinéma possèdent ce que les plateformes sociales n’auront jamais : la puissance du contexte. Ajoutez-y la preuve, et vous récupérez ce que les plateformes sociales vous ont pris : la confiance.

Le ciblage ne sauvera pas la publicité. La confiance, oui.

L’alliance TF1 + M6 + Amazon est un mouvement important, attendu, stratégique. Elle modernise la TV française. Elle ouvre les portes du retail media. Elle étend la performance.

Mais elle ne traite pas le cœur du problème : le déficit de crédibilité de la publicité.

La prochaine grande révolution du marché ne viendra pas d’une DSP, d’une clean room ou d’un graphe d’identité.

Elle viendra d’un principe simple, oublié, presque banal : les gens croient les gens. Ils ne croient plus les publicités. La solution est là.

Et toute la valeur future de la publicité se situe exactement à cette intersection : là où la preuve rencontre le média.

(c) Illustration Romain Doucelin/Hans Lucas via AFP - Les Echos